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Un auteur trop méconnu, Joseph Delteil... (peut-être, est-ce préfèrable?) Extraits:

Publié le par Nocif


tershiphorst

LETTRE AU SUJET D'UNE PHRASE DE JESUS II


Mon cher Pab,

Ça vous a donc amusé, cette petite phrase <mise à nu> ? Ainsi de tout Jésus II (et ce titre même est un signe, bien sûr). C'est l'histoire d'un fou, ne l'oublions pas, d'un authentique fou (j'appelle fou qui dans ce monde artificiel reste naturel). Les quatre chapitres du livre traduisent à mes yeux les quatre mouvements caractéristiques de tout homme <digne de ce nom.>. Le premier mouvement est l'amour, le pur et simple apostolat: <Homme, réveille-toi ! > Le second mouvement est l'action directe, la jolie croisade. Courir au feu... sauver un oiseau... sauver le monde... Le troisième, en cas d'échec (évident, hélas!) c'est l'appel à l'Autorité (le Pape?): la Politique. Le quatrième mouvement enfin (à la réflexion) c'est le recours au Moi, la terre ferme du Moi, la forteresse du Moi... le suprême recours, le pire, mais le seul... Le maquis de l'âme. La Mystique.

Extrait de Jesus II (1947), Œuvres complètes (Grasset), page 463
FRANCOIS D'ASSISE

Tous les pinsons du monde là-haut dans les platanes chantaient et fientaient à qui mieux mieux, et François aussi c'est toute sa fiente qu'il jetait au diable, la fiente de l'homme.
Il jetait, et ayant tout jeté il jetait encore, il jetait toujours, d'un geste automatique, perpétuel... Que n'eût-il jeté ! Si c'était une < livre de chair > qu'on lui réclamât, va pour la livre de chair! Et jusqu'à sa mère... (d'où que ce saint si tendre ne pense plus jamais à sa mère, désormais n'a plus de mère comme s'il avait rendu sa mère à son père, par-dessus le marché). On sentait que sur sa lancée il eût rendu ses oreilles, ses yeux, la totalité de son corps, restitué à son géniteur jusqu'à sa goutte de sperme...
-. Ecoutez tous, dit-il à haute voix, jusqu'ici j'avais appelé Pierre Bernadone mon père, mais désormais je n'ai plus qu'un père, < Notre Père qui êtes au ciel... >
Et peu à peu François se sentait devenir léger, simple, libre, libre, libre... On a décroché les perspectives, le champ des choses s'éloigne, le monde rapetisse. L'évêque, l'engeance humaine, la ville, tout s'étiole et s'efface. Il ne voyait plus rien, pas même ce chiche père Bernard là-bas qui ramasse en hâte un tas de vêtements et l'emporte, avarement, à reculons... Il ne reste çà et là que quelques linéaments, une moustache de soldat, un sabot de bête, un bout de crosse... Il se fait un espace immense entre François et le monde, un espace d'homme.

Extrait de François d'Assise (1947), Œuvres complètes (Grasset), page 577

LA DELTHEILLERIE

Qui étais-je donc en débarquant à Paris vers 1921 frais émoulu de mes livres et de mes prêtres? Et qu'allais-je faire à Paris? Chercher fortune comme tous les cadets de Gascogne (ou de Languedoc, qui est Gascogne et demie)? Ou, comme disent bravement quelques-uns de mes amis, faire fortune? Mais le savais-je moi-même? En vérité j'allais à Paris du pied droit, automatiquement, comme à ma patrie, comme à ma "vraie vie".
J'étais un paysan à l'état brut, sans racines spirituelles, sans véritable culture, instruit de bric et de broc (école primaire, puis séminaire). Un simple sauvage (non sans affûtiaux), venu tout nu de son patois. J'arrivais en sabots, tout chargé de messes et de raisins. Un ourson mal léché, l'innocent de village. Ourson d'aspect, cathare d'âme, paléolithique de cœur. La juvénilité, l'appétit, la fameuse " maladresse gauloise ", tel était mon lot. Avec quelques dons sans doute, si j'en crois... (et sinon, comment expliquer ce tintamarre autour de l'ourson ?).

Extrait de La Delteheillerie, Grasset (1968)

L'HOMME COUPE EN MORCEAUX (voir le livre paru en 2005)


Pro Cinéma, article pour L'Intransigeant (à venir très bientôt)

L'HOMME DES BOIS (issu de Lire le pays, balades littéraires, Le passeur Editeur, 22 euros, réédition ), reproduit avec l'autorisation de l'éditeur. Voir aussi l'article de L'Humanité.


Et voilà qu'on me demande de faire le professeur! Moi, l'homme des bois. Né dans une cabane en pleine forêt, en avril, au chant du Loriot. De quoi s'agit-il donc? de votre cité? Mais d'abord fallait pas la faire cette cité de 3 millions, de 10 millions, de 28 millions d'habitants. Chez nous ça n'existe pas, nous sommes des nomades, le long des saisons, par les garrigues, les déserts et les nuages. Moi je suis naïf, idéaliste. Une espèce d'analphabète. Je n'ai jamais rien appris, j'invente. Ça s'appelle l'instinct. Les savants savent tout, c'est évident, mais l'analphabète sait le reste. D'ailleurs il paraît que le savant type, Einstein, quand il monte au tableau, personne, sauf deux ou trois ouistitis de son espèce, n'est capable de le comprendre. Amen!
Le moindre professeur évidemment vous produira un cours d'épistémologie, ou un traité de thermodynamique. Moi, l'homme des bois, je ne sais que vous montrer le soleil, la plante de mes pieds, et mon cœur, et mon cul. Je n'ai pas de préjugés, et pour moi conscience c'est science de cons. Et d'ailleurs qu'en faites-vous de vos savants? Il vous suffirait d'en prendre quelques-uns, et drôles, par les oreilles, un Laborit, un Ionesco, un Drot, et de les laisser pondre.
Pondre non pas ce qu'on vient de lire, à grosses prunelles, dans les livres, mais ce qu'ils ont dans le ventre, au fond des tripes. Allez-y mes agneaux! Mais vous préférez les copistes, une belle écriture. Ceux qui vous chantent vêpres et de l'abstraction à tout rompre. "L'expansion", disent-ils, toujours à mieux, comme les sardines. Ils triomphent avec du poids, des volumes, des formats. On ne me montre que des spectacles, des événements, des phénomènes, les pyramides, les cathédrales (qui donc sinon moi a écrit: "un homme c'est plus qu'une cathédrale! "). Moi, je cherche le plaisir, le bonheur. C'est l'ouvrier qui m'intéresse, et non l'œuvre. L'ouvrier des pyramides, l'ouvrier des cathédrales, était-il heureux?

Bon! Mais il paraît qu'il s'agit des provinces, et nommément de ma province. Le Languedoc, ou Occitanie. Vous savez qu'autrefois les rois de France ont joué des provinces comme un jeu de quilles, à coups de mariages, à coups de guerres, il s'agissait d'agrandir le patrimoine.
La province! Nonobstant que ça vousa un petit air provincial, en réalité on peut faire partie d'un vaste empire, mais votre province reste le Vivarais, ou le Yorkshire ou l'Andalousie. Au sens latin votre province c'est votre terre.
Là règne le paysan. Le commerçant, le guerrier sont des vagabonds. Un jour ils font leur travail, ils étalent leur bazar ou livrent bataille, puis décampent. Reste le paysan, l'homme du pays. Le paysan est la partie stable de l'histoire. Après le choc, il change de patron, mais sa sueur reste la même.
Le soldat a toujours été le cadet, le cagonis. Le paysan c'est l'aîné.
Moi, l'homme des bois, je me frotte les yeux, c'est étrange comme on naît à l'état civil espagnol, anglais ou russe, alors que je ne vois qu'un petit homme tout nu! Qui va communier avec son environnement, son milieu, se nourrir de son soleil et de ses forêts, se rouler dans la montagne et la mer, assimiler les herbes, les bêtes et les fruits. Bref prendre province.
Et moi, l'homme des bois, terre à terre, je demande: quels avantages, quels inconvénients?
Assurément je ne veux pas être prisonnier de l'histoire. L'histoire n'est qu'une source de problèmes, de ressentiments, de revanches, un vrai poison. Troie, Azincourt, Waterloo, vous voulez rire. Abolissons l'histoire!
Moi je suis né pour être heureux, ici, aujourd'hui, comme un hippopotame ou une libellule. Je demande à parler ma langue, à boire mon vin, à baiser ma femme. Je réclame ma province comme un agneau réclame sa mère.

Je me souviens, quand de Pieusse j'allais avec Papa et l'oncle François vers dix ou douze ans ramasser des champignons au bois de Perry, le beau cèpe noir, de garric, il me semble que j'emportais avec moi toute ma sensibilité, et qu'à chaque instant je jouissais de cette aube toute mouillée de rosée, de ces vignes en fleur déjà sulfatées du troisième sulfatage, d'un merle qui s'échappe tout à coup du taillis avec son cri spécifique, peut-être à gauche d'un serpent - on s'arrêtait toujours à la source de Pagès, si fraîche au milieu de ses prêles. Tout cela constituait ma terre, mon territoire, ma province, et je faisais corps avec chaque colline et chaque herbe, mais déjà si quelqu'un en cours de route faisait allusion à quelque prisonnier en Chine ou à quelque bataille (si revêtu de batailles que je fusse comme un poisson d'écailles), déjà j'étais prêt à prendre les armes, à prendre la plume pour protester contre l'injustice et contre le mal, protester et dénoncer, en tout cas à ma façon en les décrivant, mais comme si j'y étais, comme si c'était moi (je proteste quand je dis: je suis chrétien! Je fais appel aux deux grandes paroles de Jésus "Tu ne tueras pas! - et Aimez-vous les uns les autres! "), décrivant comme j'allais décrire bientôt Jeanne d'Arc toute nue sur son bûcher, vêtue de pucelages et de brûlures, et brûlant comme si c'était moi qui brûlais.
Je fais corps avec... Et peut-être n'ai-je jamais su que faire corps avec la vie, avec le soleil, avec une hirondelle, avec le plaisir comme si j'en étais le héros, avec le mal aussi comme si j'en étais la victime. L'homme, le moindre homme c'est moi.

Bref tout ça c'est des impondérables, quasi ésotériques, le combat entre les sentiments et le réalisme, la lutte entre la terre et le ciel, et la plume de l'écrivain s'y casse les reins. Tout ce que je sais, moi l'homme des bois, c'est que j'aimerais mourir un jour dans ce village de Pieusse, Pioussolès-Balandrans, où d'ailleurs je ne suis pas né, mais que j'ai humé, respiré, reluqué, palpé, mordu, chié, joué aux boules, foulé aux pieds, tressailli, digéré à partir de l'âge de deux ou trois ans, entre le breilh de la barque où nous lavâmes tant de lessives avec maman et notre vigne de Fourques où les comportes aux vendanges étaient
si lourdes à porter au pal, sans oublier cet endroit limoneux au bord du Rec où le ciel est si bleu, et où la pie tous les matins à 7 heures faisait son tintamarre; la mort y serait, me semble-t-il, plus étrange, plus étrangère qu'ailleurs, et quelque chose de moi y serait immortel.

J. D. 14 juillet 1977
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N
<br /> Un autre ouvrage issu de sa plume, étonnant!.. : La cuisine paléolithique.<br /> <br /> <br />
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